Par Tatiana Gründler, juriste et co-animatrice du groupe de travail « santé et bioéthique » de la Ligue des Droits de l’Homme

Le rééquilibrage de la relation patient/médecin par l’affirmation des droits des malades dans la loi du 4 mars 2002 (dite loi Kouchner), s’est étendu aux situations de fin de vie. Depuis 2005 et la loi Leonetti, il est interdit aux médecins de s’obstiner déraisonnablement c’est-à-dire d’accomplir des actes « inutiles, disproportionnés ou [qui] n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie », ce qui peut justifier l’arrêt de l’alimentation et l’hydratation artificielles comme dans le cas de Vincent Lambert. De son côté, le patient peut toujours refuser un traitement, y compris lorsque ce refus engage son pronostic vital. Cette place cardinale accordée à la volonté existe même pour le cas où le patient serait hors d’état de s’exprimer (dans un coma par exemple) grâce à la possibilité qui lui est offerte de désigner une personne de confiance (chargée de témoigner de sa volonté pour toute décision médicale le concernant) et de rédiger des directives anticipées (dans lesquelles figurent ses souhaits concernant sa fin de vie). Mises en place en 2005, celles-ci sont depuis 2016 sans limite de temps (en étant évidemment modifiables et révocables à tout moment) et surtout devenues impératives, c’est-à-dire qu’elles s’imposent aux médecins, à moins qu’elles soient manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.

L’autre apport de la loi Claeys Leonetti concerne la prise en charge palliative avec la reconnaissance d’un nouveau droit au patient en fin de vie : celui de demander une sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsqu’il est atteint d’une affection grave et incurable, que son pronostic vital est engagé à court terme, avec une souffrance réfractaire. Mais la Haute autorité de santé a encore renforcé les conditions légales en limitant la sédation à l’extrême fin de vie (quelques heures, quelques jours tout au plus avant le décès).

Des questions demeurent quant à l’appropriation et l’application de ces innovations par les équipes soignantes comme par les citoyens. Si la collégialité fait depuis longtemps partie des pratiques professionnelles pour des décisions aussi graves, la mise en œuvre de sédations profondes et continues jusqu’au décès a pu poser difficulté à des soignants qui estimaient se rapprocher de l’euthanasie. Quant aux directives anticipées, leur rôle reste encore limité alors que seuls 18% des personnes interrogées en avaient rédigé en 2021 et que leur accessibilité n’est pas garantie (même si elles peuvent désormais être intégrées à l’espace numérique de santé qui reste à ce jour non obligatoire).

Surtout, ces améliorations des conditions de prise en charge de la fin de vie occultent le sujet de l’aide active à mourir. Jusqu’à aujourd’hui le législateur a toujours considéré qu’en améliorant la fin de vie, les demandes d’aide active à mourir disparaîtraient. Pourtant, sans pouvoir les chiffrer, les départs de ressortissants français en fin de vie vers la Suisse qui autorise le suicide assisté (Jean-Luc Godard récemment) ou vers la Belgique qui a légalisé il y a plus de vingt ans l’euthanasie (Anne Bert) existent témoignant d’une demande et posant le problème tout à la fois des inégalités entre les patients et de l’externalisation de pratiques que nous refusons de réaliser en France.

Il est donc important de remettre sur le métier le sujet de la fin de vie, et plus précisément celui de l’aide active à mourir.

Le sujet est toutefois loin d’être simple. Si la légitimité de la demande est difficilement contestable s’agissant d’un acte aussi intime et personnel, il est tout aussi évident qu’elle engage le professionnel et, au-delà la société, n’exigeant rien de moins qu’une dérogation – certes strictement encadrée – à l’interdit de tuer. C’est la raison pour laquelle la reconnaissance d’une clause de conscience spécifique est indispensable. L’implication du médecin sera en outre différente selon que la voie du suicide assisté ou de l’euthanasie sera choisie par le législateur exigeant, selon le cas, prescription ou administration du produit létal. Il appartiendra au Parlement de déterminer le cadre dans lequel un tel acte est acceptable : quels bénéficiaires (majeurs/mineurs, personnes conscientes/inconscientes, personnes capables/juridiquement protégées) et quelles pathologies (maladies incurables, létales, avec engagement du pronostic vital à court terme/moyen terme, maladies psychiques) ? Il est indispensable que les difficultés soient posées, que les enjeux soient étudiés et que des choix aussi éclairés que possible soient faits. La réflexion doit être approfondie au sein de la société et le Parlement devra être à la hauteur et ne légiférer que d’une main tremblante pour paraphraser Montesquieu.

Mais au-delà, cette probable reconnaissance d’une aide active à mourir ne sera acceptable socialement que si plusieurs conditions sont réunies : un accès égal sur l’ensemble du territoire aux traitements curatifs comme aux soins palliatifs et une prise en charge satisfaisante de la vieillesse, y compris dépendante. L’enjeu étant que ce choix soit réellement individuel et aussi libre que possible, c’est-à-dire le moins possible induit par les inégalités sociales, une vulnérabilité non accompagnée, une souffrance non prise en charge.

En d’autres termes, la consécration d’un tel droit doit s’accompagner d’un engagement fort des pouvoirs publics en faveur du système de santé, des soins palliatifs et de la vieillesse, ce qu’appelait de ses vœux la Ligue des Droits de l’Homme dans sa résolution de 2020 « Fin de vie : pour un droit d’obtenir une aide active à mourir ».

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