Réserve ? Notre ministre entend introduire dans le code de l’éducation, via l’article de la loi sur « l’École de la confiance » la notion d’exemplarité, qui renvoie, sans la nommer, à l’obligation de réserve.

Un avis du Conseil d’État a rappelé l’inutilité juridique d’un tel article. En effet, les agents publics sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, à un devoir de neutralité, de laïcité, de dignité, d’impartialité, d’intégrité et de probité, de discrétion professionnelle, d’obéissance, de signalement…
Même si l’obligation de réserve ne figure pas explicitement dans le statut général de la Fonction publique, la jurisprudence de Conseil d’État est constante depuis 1935 (CE. Sect. 11 janvier 1935, Bouzanquet n° 40842).

Dévoiement
L’obligation de réserve, qui n’existe qu’en dehors du temps de service, impose aux agents d’user de mesure et de retenue à l’occasion de l’expression publique de leurs opinions afin de ne pas nuire à l’image du service public, surtout s’ils se prévalent de leur fonction.
Déjà, certains chefs de service autoritaires ou capricieux, ne comprenant ni le sens ni la portée de ce principe, l’interprètent comme la nécessité d’une neutralité politique absolue. L’obligation de réserve est utilisée comme outil pour faire taire toute critique et toute contestation.
Sous Philippe le Bel, la Grande ordonnance de 1302 imposait aux agents du roi « une bonne renommée », donc d’être exemplaires. Trudaine vers 1750 rappelait qu’un serviteur de l’État « doit faire le bien de l’État et se taire ». Michel Debré écrivait dans les années 1950 « Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait ». Enfin, sous couvert de modernité et de confiance, Jean-Michel Blanquer veut imposer, en 2019, l’idée très ancienne du « fonctionnaire-sujet ».

Liberté de conscience
Cette conception archaïque se heurte à l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983. Il pose la notion du « fonctionnaire-citoyen » : « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires », conformément à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui vaut pour tout citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».
L’appréciation de l’obligation de réserve est complexe et dépend de divers éléments :
– le niveau dans la hiérarchie ;
– la nature du poste (nomination politique ou sur concours) ;
– les fonctions occupées ;
– la nature des opinions ;
– le mode d’expression de ces opinions (vocabulaire…) ;
– la publicité ;
– le lieu (réunion, blog…) ;
– la circonstance ;
– l’investissement d’un mandat politique, syndical, associatif…

Pour valider un manquement à l’obligation de réserve, le juge est attentif :
– au caractère outrancier, irrespectueux ou injurieux des propos ;
– à la virulence et la répétition ;
– à l’atteinte à l’image du service public ;
– au discrédit jeté sur le service ;
– à la publicité faite aux propos tenus ;
– à la fonction, au rôle hiérarchique.

Citoyen et fonctionnaire
La volonté d’introduire l’obligation de réserve cache un double but. Le premier est de faire peur aux personnels en permettant à un chef de service de caporaliser les agents. Le second, encore plus problématique, vise à imposer l’allégeance au gouvernement en place, quel qu’il soit.
Au final, la question est bien plus politique que juridique et dépend de la conviction et de l’engagement à faire prévaloir, si besoin par le combat, que le fonctionnaire est un citoyen comme un autre, et qu’il n’est pas surtout pas un citoyen-sujet soumis à la puissance politique.

Jean-Michel Harvier

À titre d’exemple et pour clarifier, si dans une réunion, dans un média ou bien sur les réseaux sociaux il est affirmé que ce que dit J.-M. Blanquer est faux et renforce une ségrégation scolaire.
• Ces propos sont tenus comme militant syndical, aucun risque.
• Ces propos sont tenus comme citoyen, aucun risque.
• Ces propos sont tenus comme enseignant (voire pire en citant l’établissement), risque de manquement à l’obligation de réserve.

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