D’autres manuels… pour enseigner l’égalité…

Interview croisée des Coordinatrices du Manuel « La place des femmes dans l’histoire, une histoire mixte » aux Editions Belin 2011
Geneviève Dermenjian, Irène Jami, Annie Rouquier, Françoise Thébaud.

« Le regard neutre masculin sur l’histoire est ancré en chacun de nous. Nous avons voulu donner quelques moyens pour changer de regard… »

Annie Rouquier


Pourquoi avoir créé cet outil ?

Ce désir, récurrent pendant une grande partie de ma carrière, a pu se transformer en projet collectif réalisable grâce à l’accueil chaleureux rencontré parmi les membres de Mnémosyne, et à la somme des compétences scientifiques qu’elles et ils représentent.
Des dizaines d’année au service de l’histoire dans l’enseignement secondaire m’ont permis de constater qu’il nous est demandé de transmettre une histoire, riche et complexe, destinée à éclairer un présent de plus en plus mondialisé et problématique. Cependant, le récit impulsé par les textes officiels de l’institution et interprété par les manuels, reste partiel et partial parce que conjugué au masculin ou au neutre pluriel. Il est donc décalé par rapport à la construction socialement attendue d’une mixité de plus en plus grande dans nos sociétés. De plus, en restant un héritier, même lointain, du « roman national », masculin, politique et guerrier élaboré dès le début de la IIIe République pour former des hommes agissant seuls dans l’espace public comme citoyens et soldats, ce récit occulte l’important corpus d’histoire des femmes et du genre constitué depuis les années 1970 : il présente là une défaillance scientifique.

Quels sont les objectifs de ce manuel ?

Cet ouvrage vise à permettre aux professeurs (étudiants, parents…) de construire un (leur) récit qui sorte les femmes de l’ombre, qui mette fin aux « silences de l’histoire ». Il part de l’idée que l’histoire enseigne le passé des sociétés et que les sociétés sont composées pour moitié de femmes. Il s’intéresse à la variété des relations entre femmes et hommes, veut rendre compte de leurs places, rôles et actions respectves, sans se transformer en geste féminine héroïque ni en récit victimaire.
Pourquoi donner de l’importance aux modèles d’identification ?
Dans les années 1970, en exerçant dans la Formation continue des adultes, j’ai eu l’occasion de réaliser que des femmes ont besoin, pour bâtir un projet incluant une vie professionnelle et citoyenne, de rencontrer des modèles qui contredisent les idées reçues et les stéréotypes. Ces modèles peuvent ouvrir le champ des possibles. C’est aussi l’expérience vécue par des enseignants, en ce début de XXIe siècle.
Il n’est pas question d’ignorer le rôle joué par la littérature de jeunesse, les jeux vidéo et tous les médias… Mais le récit labellisé par l’EN a une fonction légitimante qui justifie la projection dans l’avenir.

Comment votre ouvrage est-il conçu ?

Nous n’avons traité que de questions présentes et/ou récurrentes dans les programmes scolaires, passages obligés de la culture citoyenne, sans prétendre rechercher l’exhaustivité.
Chapitres de « substitution » (par exemple la IIIe République) et chapitres de « complément » offrent des textes de mises au point scientifiques et des dossiers documentaires adaptés à une exploitation pédagogique.
Avez-vous rencontré des collègues travaillant sur la place des femmes dans l’histoire enseignée ?
Depuis 2001, beaucoup de travaux ont été effectués par les professeurs-formateurs de l’Académie d’Aix-Marseille et diffusés sur le bulletin électronique de « La Durance », que l’on trouve sur le site académique. Un numéro spécial a été publié début 2011 à l’occasion de la parution de cet ouvrage. D’autres recherches s’effectuent ailleurs, à Rennes par exemple.

Nous n’avons pas voulu ajouter une Xe pierre à la lapidation des manuels qui dure depuis trente ans. Le regard neutre masculin sur l’histoire est ancré en chacun de nous. Nous avons voulu donner quelques moyens pour changer de regard…

Françoise Thébaud


Quelles sont les origines de votre manuel ? Pourquoi avoir créé cet outil ?

Appartenant à la première génération d’étudiantes de Michelle Perrot lancées en 1973 sur des recherches en histoire des femmes dans un contexte d’affirmation du féminisme, j’ai participé depuis près de 40 ans à l’émergence et au développement de ce champ de recherches qui a rencontré beaucoup de résistances en France. Avec obstination, j’ai tenté d’agir pour que ce savoir nouveau appartienne à la culture commune et soit transmis à tous les degrés de l’enseignement, ainsi qu’à un public large : création de la revue Clio. Histoire Femmes et Sociétés (1995), puis de l’Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre-Mnémosyne (2000) dont j’ai assumé la présidence pendant 8 ans. Les débats de l’Association qui regroupe des représentant-e-s de métiers différents de l’éducation et de la culture ont mis l’accent sur l’importance de la transmission et la nécessité de produire des outils utilisables dans l’enseignement secondaire et primaire. Un manuel pour professeurs avec dossiers documentaires utilisables avec les élèves nous a paru une première étape réaliste, avant des manuels pour élèves pour lesquels aucun éditeur ne voulait s’engager.

Quels sont les objectifs de ce manuel ?

Les objectifs du manuel sont à la fois intellectuels et civiques. Il s’agit de proposer un récit historique qui ne soit ni partiel ni partial, qui prenne en compte la dimension mixte de l’humanité, qui relise l’ensemble des questions au programme avec des lunettes à deux dimensions (lunettes de genre qui n’oublient pas la place des femmes ni la diversité et les enjeux des relations entre le masculin et le féminin). La transmission d’une histoire mixte nous parait conforme à l’affirmation des valeurs d’égalité dans notre société démocratique et peut être considérée comme un outil d’égalité (voir réponse suivante).

Pourquoi la question des modèles d’identification posée dans la présentation vous paraît-elle primordiale ?

L’intérêt civique du manuel est triple. D’une part, en montrant les femmes ou des femmes comme actrices de l’histoire, il peut fournir des modèles d’identification positive aux filles et ébranler ainsi les autolimitations d’orientation que connaissent bien les sociologues de l’éducation (cf l’expérience de Nicole Cadène citée en introduction). D’autre part, en soulignant que la différence sexuée est plus une construction culturelle et sociale différente selon les époques qu’une donnée de nature, il invite à une attitude réflexive envers les stéréotypes et à la tolérance à propos des orientations sexuelles. Enfin, en mettant en évidence la récurrence de controverses autour de l’égalité, le poids respectif d’acteurs et d’actrices favorables ou non au changement, le fait qu’aucun progrès n’est inéluctable et définitif, il peut contribuer à l’éducation de citoyens et citoyennes conscients et responsables.


Comment l’ouvrage est-il conçu ?

Les programmes étant fluctuants, le manuel traite des questions récurrentes entre l’Antiquité et nos jours. Il concerne donc l’ensemble des niveaux de la 6è à la terminale et peut aussi intéresser l’enseignement primaire. Il s’adresse aux professeurs à qui il propose des chapitres de substitution (pouvant remplacer le chapitre sur la même question de n’importe quel manuel) ou des chapitres de complément apportant des informations précises sur les femmes. Le récit historique est accompagné de documents (textes, iconographie) et de dossiers documentaires qui seront prochainement numérisés pour une utilisation plus facile en classe.
L’ensemble des chapitres ont été rédigés par des spécialistes des questions considérées qui ont toutes et tous accepté de travailler bénévolement.

Lors de vos recherches, vous avez sans doute rencontré des collègues travaillant sur la question de la place des femmes dans l’histoire, pouvez-vous donner quelques exemples ? ( hormis celui sur l’exposition héros/héroïnes ) ?

L’Association pour le développement de l’histoire des femmes et du genre-Mnémosyne a organisé en 2005 un colloque à l’IUFM de Lyon « Histoire des femmes et du genre : enseignement et transmission des savoirs »  (communications disponibles sur le site de l’association). A cette occasion se sont exprimés enseignantes et enseignants du secondaire et du supérieur qui ont déploré le manque d’outils disponibles par le plus grand nombre. Le besoin d’ouvrages en accord avec les questions au programme a aussi été formulé lors de formations PAF auxquelles participaient des membres de Mnémosyne. Avec La place des femmes dans l’histoire. Une histoire mixte, Mnémosyne a voulu offrir à tous les usagers possibles (enseignants du primaire, du secondaire et des premiers cycles universitaires, étudiants d’histoire et de masters d’enseignement, grand public cultivé) une première synthèse qui sera sans doute perfectible.

Geneviève Dermenjian

Quelles sont les origines de votre manuel ? Pourquoi avoir créé cet outil ?

Ce livre prend son origine dans le cadre de l’association Mnémosyne pour l’histoire des femmes et du genre qui réunit des professeur-e-s de différents niveaux, des étudiant-e-s d’histoire, des inspecteurs.
1.1 Nous avions tous et toutes depuis longtemps conscience d’un manque d’ouvrages de synthèse sur la question des femmes et du genre. Il est revenu à Annie Rouquier de demander précisément la mise en oeuvre d’un manuel qui donnerait non seulement aux professeurs mais aussi aux étudiants et à tout public intéressé des notions précises et actuelles sur cette histoire et la façon de l’enseigner.


Quels en sont les objectifs ?

1.1.1.1 Certains manuels d’histoire des différents niveaux d’enseignement commencent depuis peu à approcher cette question autrement qu’en proposant des « dossiers » annexés à un chapitre, mais nous voulions montrer qu’on pouvait faire de l’histoire des femmes et du genre dans le corps même d’un grand nombre de chapitres. Cela supposait de donner des éléments de connaissance aux professeurs qui en manquent souvent. Nous avons en particulier proposé un certain nombre d’études sur la France, en correspondance avec les programmes scolaires.
1.1.1.2 Nous voulions aussi montrer la variété et la qualité des études actuelles sur la question des femmes et du genre. Cela nous a permis par exemple de donner la parole à des historiens et des historiennes s’intéressant dans le temps à des aires géographiques en général peu connues du public français.
1.1.1.3 Cette volonté et la qualité des études reçues a permis à Belin d’extraire notre manuel de son catalogue purement scolaire pour le présenter dans un cadre général.


Pourquoi la question des modèles d’identification que vous posez dans votre présentation vous paraît-elle primordiale ?

Les modèles d’identification donnés par les manuels d’histoire sont en quasi totalité masculins. Les femmes n’y apparaissent que rarement et presque par effraction pourrait-on dire.
Lorsque des petites filles ou des jeunes filles ont besoin de modèles d’identification pour construire leur personnalité, se donner une légitimité et des raisons d’avoir confiance en elles, il est important qu’elles rencontrent des figures historiques féminines d’envergure. Faire sortir de l’anonymat des femmes qui ont joué dans leur époque un rôle social, politique, culturel de premier plan permet de jouer ce rôle. Et aussi de montrer qu’il ne s’agit pas d’accidents de l’histoire mais bien d’une succession au fil du temps de femmes capables, comme les hommes, de jouer un rôle public valorisant. Ceci, bien au-delà de nos chères Jeanne d’Arc (Jeanne, c’est l’équivalent de Venise en peinture, on n’y échappe pas) et Marie Curie, pour citer les femmes proposées à l’enseignement élémentaire. Nous voulions montrer que l’histoire est faite d’un entrelacement d’actions féminines et masculines et non seulement masculines. Ceci sans inciter à une guerre des sexes qui n’est absolument pas notre propos ni notre souhait mais en éclairant la part de chacun.


Comment votre ouvrage est-il conçu ?

Chaque chapitre comprend un édito qui fait le point de la question en ayant recours aux travaux les plus récents. Ce chapitre introductif est suivi de 1 à 3 dossiers selon les cas qui indiquent aux professeurs comment utiliser en classe un certain nombre de données.


Lors de vos recherches, vous avez sans doute rencontré des collègues travaillant sur la question de la place des femmes dans l’histoire, pouvez-vous donner quelques exemples ?

Chacune d’entre nous a pu travailler, souvent depuis des années avec des collègues partageant le souci de l’étude des femmes et du genre. Personnellement, j’ai travaillé dans ce sens depuis les années 1980 dans le cadre du Groupement pour la recherche sur les Mouvements familiaux populaires (GRMF) –avec des spécialistes tels que Michel Chauvière, Bruno Duriez, Jean Nizey – à l’élaboration et publication de 14 Cahiers d’histoire, dont l’un, le Cahier n° 6, dédié aux femmes de ce mouvement, a été rédigé par moi et par des femmes de ces mouvements, en totale collaboration et partage des responsabilités. J’ai signé ce travail avec Françoise Villiers, mère de Claire Villiers (militante féministe, VP du conseil général d’Île de France), récemment décédées toutes les deux.
Je travaille régulièrement avec Dominique Loiseau sur les femmes des mouvements du catholicisme social et sur les femmes communistes. Cette collaboration a donné lieu à plusieurs publications communes.
Je ne voudrais pas terminer ce petit tour d’horizon sans citer les personnels des éditions qui nous publient et sans lesquels nous ne pouvons rien. Je reçois depuis dix ans un accueil chaleureux chez Hachette quand je propose des chapitres de manuels scolaires introduisant les femmes. Nous avons aussi reçu un excellent accueil chez Belin lorsque nous avons présenté notre projet. Que tous en soient ici remerciés.

Irène Jami

Quelles sont les origines de votre manuel ? Pourquoi avoir créé cet outil ?

Professeure d’histoire en collège et en lycée menant des recherches en histoire des femmes et du genre, je suis particulièrement concernée par la question de la transmission (transmission des résultats de la recherche à l’enseignement secondaire ; transmission de l’histoire des femmes et du genre aux élèves). Le travail sur le projet de l’Association Mnémosyne avait déjà commencé lorsqu’on m’a proposé de m’y joindre. C’était l’occasion d’entreprendre de remédier à une double insatisfaction : celle d’une professeure du secondaire partie prenante d’un enseignement qui ne procure guère aux élèves les moyens d’une construction égalitaire ; celle due à la quasi absence des travaux d’histoire des femmes et du genre, maintenant nombreux et reconnus, de l’histoire enseignée.
Il faut aussi mentionner la demande des professeur-e-s d’histoire, désireux-ses d’intégrer les femmes, voire un regard « de genre » dans leur enseignement mais regrettant l’absence d’ouvrages adaptés.

Quels en sont les objectifs ?

Légitimer l’histoire des femmes et du genre en l’introduisant à l’école, au collège et au lycée. Compte tenu de ce que sont aujourd’hui manuels et programmes, j’ai parfois l’impression de faire du « hors programme », de « me » faire plaisir lorsque j’aborde certaines questions pourtant essentielles qui passionnent d’ailleurs les élèves – par exemple : la loi salique, le suffragisme, la loi de 1920, les avortements clandestins, le procès de Bobigny.
Combattre les stéréotypes de genre en montrant que « masculin » et « féminin » ne sont pas des données immuables mais des constructions qui varient dans le temps et dans l’espace.
Montrer que la vie privée, l’intimité…et même la « nature » ont une histoire. Je me souviens de l’exclamation incrédule d’une élève à qui j’ai dit qu’on pouvait faire une histoire de la sexualité !
Faire comprendre aux élèves que l’histoire n’est pas une suite de dates, que la conquête de droits n’est pas une chronologie qui part du néant pour arriver (de nos jours ) à la complétude, que nous n’allons pas automatiquement et naturellement du « avant c’était horrible » au « maintenant on a tout compris », du « avant les femmes n’avaient aucun droit » à « maintenant tout va bien ». Que derrière les acquisitions de droits il y a des actes, des conflits ; que rien n’est irréversible ; que pour reprendre les termes de la sociologue Margaret Maruani,  « il n’y a pas de pente naturelle vers l’égalité ».
Répondre aux préoccupations des collègues qui s’inquiètent : l’histoire des femmes et du genre nous intéresse, mais nous avons déjà du mal à boucler nos programmes, comment y ajouter encore ? en montrant qu’il ne s’agit pas d’ « ajouts », mais d’un changement de regard : faire une histoire mixte, c’est non pas alourdir, mais changer le récit proposé aux élèves. Un exemple : sur la France entre les deux guerres, est-il plus important qu’un-e élève connaisse la succession des majorités parlementaires et des gouvernements, ou qu’il-elle sache pourquoi les femmes n’avaient pas le droit de vote, et quelles conséquences a eu la loi de 1920 ?


Pourquoi la question des modèles d’identification que vous posez dans votre présentation vous paraît-elle primordiale ?

Parce que des modèles d’identification peuvent affaiblir le raisonnement –trop souvent entendu dans les classes, mais aussi, malheureusement, dans les salles des professeurs – selon lequel : « aujourd’hui, dans nos pays, femmes et hommes sont égaux devant la loi, donc s’ils ne sont pas égaux dans les faits c’est
naturel
parce qu’ils/elles ne veulent pas les mêmes choses ».
Il y a beaucoup à faire pour mettre en évidence les mécanismes qui produisent et entretiennent les hiérarchies. Faire découvrir aux élèves des poétesses, des mathématiciennes, des aviatrices est un moyen parmi d’autres de bousculer leurs conceptions de ce qui est « naturel » et d’inciter les filles à « vouloir ».
Pour concurrencer les modèles d’identification qui fascinent actuellement nombre de filles et de garçons (je pense notamment à l’hypersexualisation précoce des filles). 


Lors de vos recherches, vous avez sans doute rencontré des collègues travaillant sur la question de la place des femmes dans l’histoire, pouvez-vous donner quelques exemples  (hormis celui de l’exposition héros/héroÏnes) ?

L’Association des Femmes Françaises Diplômées de l’Université organise chaque année le Concours des Olympes de la Parole qui invite les élèves des écoles élémentaires, des collèges, des lycées et de l’enseignement spécialisé à réfléchir et à produire un dossier et une mise en scène sur un thème en relation avec les inégalités/l’égalité à venir entre femmes et hommes (cette année : Les femmes dans la création artistique).

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