Les stéréotypes et discriminations liés aux genres dans les manuels scolaires
Définition du sexisme selon Françoise et Claude Lelièvre (2001) : « On peut dire qu’il y a sexisme quand les textes et les illustrations des manuels scolaires décrivent hommes et femmes dans des fonctions stéréotypes qui ne reflètent pas la diversité des rôles. Le fait de nier la réalité sociale et historique dans sa complexité et sa diversité aboutit à une représentation caricaturale et unilatérale des images et des rôles masculins et féminins. (…). Il y a également sexisme lorsque les manuels scolaires se bornent à exposer une situation existante sans la critiquer ou sans présenter d’alternative. On peut considérer que cela équivaut à accepter (dans les faits) implicitement les inégalités et les discriminations qui existent ».
Entre 2007 et 2008, l’Université Paul Verlaine – Metz a réalisé pour la HALDE une enquête sur la place des stéréotypes et des discriminations dans les manuels scolaires. La recherche avait pour objectif l’évaluation du traitement de la discrimination dans les manuels d’éducation civique, ainsi que le repérage des stéréotypes dans les manuels de différentes disciplines. Une partie était consacrée aux stéréotypes sexistes.
Conception des manuels scolaires
En France, une tradition libérale délègue la conception des manuels aux éditeurs qui ont pour seule prescription le programme scolaire, préalablement établi par le Ministère de l’Education Nationale. Une fois le manuel conçu, aucune habilitation n’est nécessaire pour le commercialiser. Le traitement de la diversité apparait comme secondaire, subjective, liés à la sensibilité des responsables d’édition et à la composition fortuite des équipes, fonctionnelle à l’image de l’éditeur et à la commercialisation du manuel. Les équipes traitent éventuellement la question de la représentativité des femmes et des minorités visibles, tandis que la prise en compte des autres différences se limite aux prescriptions des programmes et parfois à l’évitement pour l’homosexualité. Le choix des manuels utilisés par les élèves revient ensuite aux enseignants qui ne sont franchement pas formés à la question des stéréotypes et des discriminations. L’idéologie et les valeurs véhiculées dans les manuels sont généralement consensuelles et reflètent la pensée dominante d’une époque. Ils ont de ce fait un pouvoir d’influence sur les élèves qui doit interroger tout le monde.
Stéréotypes et discriminations de genre
L’observation des stéréotypes et discriminations de genre dans les manuels du secondaire importe pour quatre raisons majeures : le manuel occupe une place fondamentale dans construction des représentations des individus ; l’évolution de la place des femmes dans la société appelle une transformation de l’image des femmes dans les manuels ; de nombreuses lacunes ont été détectées dans des études précédentes, il est nécessaire d’en appliquer finalement les recommandations ; les discriminations à l’encontre des femmes sont discrètes et difficiles à repérer, tant les stéréotypes sont installés dans les représentations collectives intériorisées par tous et toutes.
Les rapports entretenus entre hommes et femmes visibles dans les manuels ne font parfois que reproduire des situations encore existantes dans l’ordinaire des pratiques sociales. Certaines activités et attitudes sont encore associées naturellement aux femmes ou aux hommes. Si les femmes sont plus présentes dans les manuels scolaires qu’avant, néanmoins leur représentation contribue à les attacher à leur seule « condition de femme », ne cherchant pas à valoriser ou simplement faire exister la diversité de leurs compétences. Les stéréotypes concernant les femmes peuvent être rassemblées en quatre grandes catégories : les femmes « femmes de ménage », les femmes actives aux « petits métiers dévalorisés », les femmes « fragiles » ou « soumises », les femmes « gentilles idiotes » ou « objet du désir masculin ».
Les philosophes, les figures politiques, les artistes, les auteurs sont très largement des modèles masculins. Les femmes sont minoritaires et liées aux genres et activités mineurs. Dans l’Histoire, les femmes apparaissent essentiellement comme suiveuse plutôt qu’héroïnes. Parmi les personnages contemporains, elles se retrouvent majoritairement investies dans la sphère domestique et occupent des positions subalternes et moins prestigieuses que les hommes. Dans la présentation des fonctions des adultes qui travaillent au collège, les manuels d’ECJS présentent essentiellement des hommes dans des fonctions d’autorité (le professeur principal, le chef d’établissement, le médecin…) et des femmes dans des rôles d’accompagnement (la documentaliste, l’assistante sociale, l’infirmière…). Il en va de même pour toutes les professions de la fonction publique. Dans les manuels de SVT, les femmes sont nettement associées à la « transmission de la vie ». Dans les manuels de mathématiques, certains énoncés tendent à renforcer une division sexuée du travail, des activités et espaces sociaux. Non seulement ce sont essentiellement les filles qui « achètent », mais leurs achats sont souvent très stéréotypés. Les « passions » des unes et des autres sont encore sexuée (poupées et gommettes contre voitures, timbres, livres et Internet). Les exercices recherchant un traitement égalitaire font figure d’exception et portent sur des dimensions relativement asexuées ou aux enjeux moindres : la nourriture, les vacances. Il existe une ségrégation sexuée des sports (rugby, danse moderne). Si les manuels d’anglais semblent relativement plus ouverts à la diversité et au handicap, les rapports hommes/femmes sont traités de manière relativement identiques que dans les manuels des autres disciplines.
Il a été observé qu’aucun contre-stéréotype de type « papa coud et maman lit » n’existe à ce jour dans les manuels. Par cet exemple, nous ne voulons pas suggérer que l’inversion des rôles serait la solution idéale mais simplement qu’il est nécessaire de présenter la diversité des modes de vie négociés aujourd’hui au sein des couples et des familles. Rares sont en effet les exercices, les chapitres, les mises en scène qui tendent vers une vision intégrationniste où les femmes seraient montrées comme évoluant de la même manière au sein de toutes les sphères sociales. S’il n’a pas été possible de faire une étude exhaustive des textes de tous les manuels, il semble cependant très net que les textes entièrement sexistes sont très exceptionnels. En dehors de certains énoncés d’exercices et de commentaires d’images, les chercheurs n’ont pas été confrontés à ce type de texte, toutes disciplines confondues. Ils n’ont jamais rencontré des situations de type assimilationniste dans laquelle les manuels auraient cherché à gommer les spécificités des femmes en les faisant ressembler à des hommes. Aucun manuel ne va non plus jusqu’à exclure totalement les femmes, même si celles-ci sont très largement sous-représentées. La position individualiste est également relativement absente dans la mesure où la sexualisation des contextes est dominante. Enfin, la vision intégrationniste de transformation, qui présenterait les hommes et les femmes de manière totalement indifférenciée dans un contexte ou un autre, est la grande absente.
Recommandations
Une première recommandation serait d’être vigilants aux mots qui sont employés dans la conception d’un manuel. Il est recommandé d’employer simultanément de façon systématique les deux genres. Il est important de bannir définitivement les expressions particulièrement androcentristes.
Une deuxième recommandation affirme l’importance de faire apparaître les femmes dans « tous les chapitres », « tous les domaines » et dans « tous les contextes » comme les hommes. Il s’agit de donner visibilité aux femmes dans une diversité de sphères sociales et pas uniquement dans la sphère domestique. Sans souhaiter inverser radicalement la tendance, hommes et femmes doivent apparaitre indifféremment dans tous les contextes et toutes les situations. C’est une question de visibilité sociale, de lisibilité de l’action des individus et une occasion d’offrir aux élèves, filles et garçons, les mêmes possibilités d’identification.
Il faut aborder la question de la complexité de la relation de travail (inégalités salariales, différences d’accès aux postes à responsabilité, sexualisation des activités professionnelles). Il est nécessaire de traiter la question de la condition des femmes dans le monde (violences physiques ou psychologiques, contextes de domination, interdits/obligations, droit de disposer de son propre corps, sexisme présent notamment dans les publicités, conditionnements sexués dès le choix des jouets, choix d’orientation scolaire et professionnel, logiques de la linguistique et des règles de grammaire).
Il faut enfin dénoncer un certain nombre de contrevérités, en matière de capacités physiques ou de capacités créatrices, intellectuelles. Dans les manuels de SVT, les organes reproducteurs de l’être humain ne doivent plus être présentés exclusivement sous l’angle de la reproduction car la dimension du plaisir peut légitimement avoir sa place. Les chapitres sur la contraception doivent concerner tout autant les filles que les garçons mais surtout insister davantage sur les risques des IST, bien plus graves que les grossesses non désirées. Il s’agit finalement de moderniser le rapport à la sexualité car les manuels semblent le plus souvent désuets en présentant une vision très médicale des rapports sexuels.
Conclusion
Toutes et tous s’accordent sur le rôle moteur que doit avoir l’école, et par là même les manuels, objets témoins des connaissances et des valeurs transmises à l’école. L’enquête menée sous l’égide de la HALDE s’est intéressée à la condition des femmes, mais aussi à la question de l’origine et des minorités visibles, aux personnes en situation de handicap, aux représentations des personnes homosexuelles, à la place des séniors. Le constat est accablant pour les concepteurs des manuels.
Une maison d’édition peut concevoir et diffuser des produits porteurs de stéréotypes parce que la prise en compte de cette caractéristique ne constitue pas une priorité, ni dans la conception du produit, ni dans l’organisation du travail. D’autre part, les éditeurs peuvent éviter de produire des stéréotypes si le monde de l’éducation les aide à devenir proactifs dans la gestion de la diversité. L’éditeur doit faire recours à des spécialistes des différentes matières, aux professionnels de l’éducation, à des équipes d’enseignants utilisant les manuels, aux organismes et associations de défense contre les discriminations.
Pour que les manuels scolaires deviennent des outils de transformation sociale, nous ne pouvons pas confier uniquement dans les pratiques vertueuses des maisons d’édition. Il relève de la responsabilité des autorités compétentes et tout particulièrement de l’État de veiller à ce que plus aucun support pédagogique ne véhicule de stéréotypes. Un traitement égalitaire des individus ne pourra émerger qu’à la condition d’une volonté politique forte, accompagnée d’une volonté partagée par bien d’autres actrices et acteurs du système scolaire et social. Il est illusoire de vouloir considérer le manuel comme un objet autonome car il s’inscrit dans un ensemble pédagogique spécifique qu’il convient de transformer ; la seule transformation méliorative des manuels ne pourra suffire à éradiquer les stéréotypes de l’éducation des enfants.
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