Article paru dans « l’huma des débats »
« L’EPS est la seule discipline qui met en jeu concrètement la dimension corporelle de la personnalité des jeunes. Cela touche à l’affectivité, à la sexualité, à la culture familiale et aux représentations qui en découlent ». Jacques Rouyer, ancien secrétaire général du SNEP FSU avait particulièrement bien planté le décor des contraintes et enjeux de cette discipline.
Dans le champ culturel, les pratiques sportives se répartissent encore aujourd’hui fortement par rapport à l’identité sexuée. Dès le plus jeune âge, les jeunes et leurs parents ont tendance à choisir un sport en fonction de leur sexe (danse ou équitation pour les filles, foot pour les garçons par exemple).
L’enseignement de l’EPS n’ignore pas les difficultés qui découlent de ces rapports différenciés : acceptation ou rejet des activités fortement identifiées masculines ou féminines, gestion difficile de la mixité, moindre adhésion ou motivation différente des filles…
L’EPS, en imposant les mêmes pratiques dans le cadre de classes mixtes en réduit ainsi la portée sexuée. Il s’agit donc à la fois d’ouvrir le champ des possibles en déconstruisant les stéréotypes et permettre aux jeunes de gagner les compétences nécessaires à la poursuite de leur pratique dans des activités plus largement consenties.
Les élèves dans leur cours d’EPS : une culture mixte pouvant bénéficier aux filles
Si le cours d’EPS a été le dernier à devenir mixte, il est souvent considérée aujourd’hui comme un lieu où l’expérience de l’égalité est possible. Les enseignant-es d’EPS essaient de participer à ce mouvement en faisant en sorte que les différences de sexe ne soient plus un marqueur d’inégalités de pratique, actuellement défavorables aux filles. La bataille n’est pas encore gagnée. D’abord parce que, dans la société, les filles restent minoritaires dans les sports, et qu’à l’école, leur notes sont inférieures à celles des garçons. Ensuite, parce que beaucoup, dont notre institution, pense qu’en poussant les pratiques des filles vers des pratiques d’entretien où la santé tient lieu de motivation, on leur donne plus de chance de pratiquer. Mais pourquoi les filles devraient-elles être attentives à cet objectif plus que les garçons ? (alors que les pratiques addictives concernent majoritairement ceux-ci…) Les filles n’aimeraient ainsi les pratiques physiques que parce qu’elles façonnent leur corps avec tous les ingrédients dus à leur sexe ? (« plus beau pour les filles, plus fort pour les garçons»), éliminant tous les autres motifs. Il faut refuser de capituler devant cet abandon des fonctions égalitaires de l’école. Les offres de pratique doivent s’ouvrir plus largement aux deux sexes, chacun-e pouvant bénéficiant des compétences de l’autre.
Le cours d’EPS, lieu de l’égalité ?
L’impact de ces stéréotypes nous impose de ne négliger aucun des deux sexes dans leur prise en charge éducative. Mieux vaut connaître les écarts de perception entre garçons et filles afin d’accommoder l’enseignement pour que chacun- progresse ! Une attention aux choix d’activités, aux contenus enseignés, aux formes de pratique (des compétitions qui n’éliminent pas les plus faibles par exemple), à l’évaluation et la notation dévoile des questions lourdes pour l’enseignement.
Nous ne pouvons pas faire « comme si » filles et garçons étaient pareils ou comme si les filles n’aimaient pas « naturellement » le sport. Le sport scolaire (sport du mercredi après midi) prouve l’inverse puisque les filles représentent près de la moitié des effectifs du sport scolaire où elles viennent pour faire de la compétition, dans de nombreuses activités.
Entre la démarche volontariste (la mixité à tout prix) et l’abandon de la co-éducation (du rugby uniquement pour les garçons, et de la danse uniquement pour les filles), il est possible d’imaginer des contenus et une organisation pédagogique qui ont pour objectif de réduire ces écarts. Les nombreuses recherches sur le sujet devraient nourrir la formation des enseignant-es.
Nous devons penser nos cours d’EPS comme la possibilité pour les élèves « d’apprendre ensemble » entendue comme la possibilité pour les garçons et les filles d’expérimenter des activités, de développer des nouvelles compétences moins stéréotypées dans des rôles de sexe prédestinés.
Vaste programme pour les enseignant-e-s dont nous entrevoyons à ce niveau les obstacles : manque de formation, prédominance des modèles masculins, invisibilité du fait féminin dans les programmes des autres disciplines scolaires et dans l’école en général…
L’EPS, une chance pour l’égalité des sexes
La pertinence de l’enseignement de l’EPS réside aussi dans la recherche d’une égalité de performance au sein d’expériences partagées. Un « exploit » relatif provoque toujours un sentiment de réussite, d’image de soi plus affirmée, de confiance plus développée. On ne dira jamais assez, le plaisir vécu après une production dansée, où se vit dans le regard de l’autre un étonnement, une émotion. C’est un enjeu pour les deux sexes, porteurs de vécus différents, de vivre l’expérience accumulée de ces formes corporelles, produits d’une activité et d’une aventure humaine singulière.
L’école qui doit dispenser une culture commune, a le devoir de dé-construire ces représentations, de lutter contre l’adhésion à des images et des discours qui dévalorisent le féminin et portent préjudice au développement personnel des individu-es.
Et l’école, parce qu’elle s’adresse à tous-tes les jeunes, œuvre plus massivement que n’importe qu’elle autre institution sportive, à la modification et à la diversification des modèles, faisant de l’EPS le terrain d’expérimentation d’une nouvelle chance pour l’égalité entre les sexes, contribuant à faire évoluer le sport lui-même.
L’EPS, qui est probablement une des seules disciplines à traiter de ce problème depuis maintenant près de 20 ans, en ouvrant largement le champ des savoirs à transmettre doit participer encore plus, à l’acquisition d’une culture commune et diversifiée : du côté des garçons, en leur permettant d’accéder à la sensibilité de la danse ou des Arts du cirque et du côté des filles, en contribuant au mouvement irréversible de conquête et de transformation du sport par les femmes.
Nina Charlier
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